L'inefficacité des FARDC face au M23 : Ce qui se passe réellement sur le terrain
Jean-Jacques Wondo, expert militaire et auteur de l’ouvrage « Les armées au Congo-Kinshasa : radioscopie de la Force publique aux FARDC », a dans une interview accordée à ACTUALITE.CD le week-end, fustigé les opérations engagées par l’armée congolaise contre le M23 en progression à l’est de la RDC.
A l’en croire, les difficultés actuelles rencontrées par l’armée congolaise (FARDC) ne sont pas exclusivement dues à l’appui du Rwanda au M23.
« Contrairement à d’autres idées reçues, le rapport de forces sur le terrain en termes de matériels bruts et d’effectifs est théoriquement très largement favorable aux FARDC par rapport à l’armée rwandaise (RDF) », a-t-il fait savoir.
GLOBAL FIRE POWER
Et d’illustrer : « Ce n’est pas pour rien que le think tank américain Global Firepower classe généralement les FARDC parmi les 10 premières armées du continent africain ».
Pour cet expert militaire, « la faiblesse des FARDC est à la fois systémique, structurelle et fonctionnelle ». Il attribue cette faiblesse au manque de décisions politiques claires et cohérentes et une absence de vision stratégique globale de la défense et de la sécurité congolaise.
« Tout d’abord les FARDC restent une armée hétéroclite ayant intégré en son sein plusieurs combattants des groupes armés, dont la réforme semble délibérément sabotée par manque de volonté politique. L’armée congolaise souffre également d’un déficit de leadership militaire et d’un commandement peu compétent, désorganisé, dysfonctionnel. On note le déficit de formation de beaucoup de cadres de commandement entraînant une faible capacité managériale à tous les niveaux (Planning, Exécution et Évaluation) », a-t-il indiqué.
DÉSORGANISATION
Jean-Jacques Wondo évoque, par ailleurs, une désorganisation sur le terrain des opérations.
« Plusieurs officiers se plaignent de chevauchements dans la chaîne de commandement et d’absence d’unicité de commandement. On ne sait pas réellement qui commande les opérations militaires entre les différents échelons de commandement (Sous-chef d’état-major des FARDC ? La Maison militaire de Kinshasa ? L’état-major avancé dépendant de Kinshasa ? Le Gouverneur militaire ? Le Commandant de la 3ème zone de défense ? Le Commandant de la 34 ème région militaire au Nord-Kivu ? Les Commandants des secteurs opérationnels ? Le Commandant de la task force de la Garde républicaine ? etc », s'interroge-t-il.
A ces faiblesses, poursuit-il, on peut ajouter la non maîtrise des effectifs de l’armée, l’absence de tableaux organiques et de tableaux de dotations pour permettre une vue d’ensemble de l’armée ainsi que de leur matériel.
LOGISTIQUE
« Les unités au combat font preuve de très faibles capacités opérationnelles sur les plans de manœuvres et logistiques. On est incapable de planifier et d’organiser des opérations coordonnées interforces et interarmes entre les unités de couverture (infanterie), les unités de défense principales (blindées, mécanisées artillerie), les unités spéciales et l’appui aérien », précise-t-il.
Outre cet imbroglio au niveau de la gestion des opérations militaires, d’après cet auteur, il faut ajouter la présence de certaines unités militaires indépendantes du commandement opérationnel local et de la région militaire.
DÉSENGAGEMENT
« Sur le terrain, on note une absence de motivation des troupes combattantes. Il nous revient de toutes les sources interrogées que les militaires déployés au front ne sont pas motivés et ne sont pas correctement pris en charge, notamment en cas de blessures ou de décès », déplore-t-il.
Cette situation est à la base, à en croire l’expert, de la baisse d’engagement à fond des troupes dans les combats et à obtempérer aux ordres de leurs chefs qu’ils accusent, à tort ou à raison, de détourner leurs primes.
« Ces revers militaires subis par les FARDC depuis juin 2022 ont occasionné la déstructuration des unités sur le terrain. Plusieurs soldats ont déserté leurs unités déjà en sous-effectifs à cause des chiffres gonflés par leurs chefs pour détourner l’argent, les primes des fictifs et les dotations en carburant et en matériels logistiques. Plusieurs chefs militaires, à tous les échelons, profitent des budgets additionnels des opérations pour se faire une santé financière. Cette cannibalisation des moyens militaires impacte négativement l’efficacité des opérations militaires », renchérit-il.
CONTEXTE
Depuis fin 2021, le M23 a repris les armes dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC) pour diverses revendications, notamment l’application des accords conclus avec Kinshasa, consacrant le rapatriement des combattants réfugiés au Rwanda et en Ouganda au lendemain de la défaite du mouvement en 2013, leur intégration dans l’armée ainsi que la protection des minorités Tutsi.
Parti des collines de Sarambwe, à l’intersection entre l’Ouganda, le Rwanda et la RDC, des combattants négligés au départ ont surpris en gagnant d’important terrain : de Bunagana à Kitshanga, en passant par Rutshuru, Kiwanja, Nyamilima, Tongo, Bambo, Kishishe,…
Les rebelles soutenus par Kigali contrôlent aujourd’hui un vaste territoire que le Rwanda, et s’approchent de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu sans être stoppés par l’armée congolaise classée pourtant parmi les dix premières puissances militaires du continent africain.
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